L’exposition du bicentenaire présentée au Victoria and Albert Museum ne devrait pas être vécue par l’actuelle manufacture de Wedgwood comme une consécration, mais bien comme une mise en accusation. Comparées aux séries contemporaines, les superbes porcelaines exposées démontrent que l’entreprise n’est plus que l’ombre d’elle-même.
LONDRES - Josiah Wedgwood (1730-1795), le fondateur de la manufacture, cultivait de multiples talents au service d’une ambition simple : devenir le "Grand fabricant de vases de l’univers". À sa mort, ses "jaspes", ses pièces de couleur non vernissées, décorées de reliefs blancs à l’antique, étaient encore plus en vogue que les porcelaines de Meissen ou de Sèvres.
La suprématie de Wedgwood sur ses rivaux anglais – tout aussi inventifs que lui et adeptes de méthodes de fabrication rationnelles, comme l’a démontré Lorna Weatherhill – s’explique par le talent avec lequel il exploitait les caprices de la mode. Pour répondre à la "folie des vases", née des fouilles de Pompéi et d’Herculanum, il créa le style néoclassique.
De crainte que certaines personnes respectables ne s’offusquent de figures "trop ardentes", il vêtit celles-ci de feuilles de vigne ou de drapés, mais jugea que les classes supérieures démontraient des appétits plus robustes et laissa des nudités hardies sur ses vases de prix.
Aujourd’hui, la production de Wedgwood supporte mal la comparaison avec les pièces proposées par des manufactures de porcelaine décorative concurrentes. Sa nouvelle série "Corne d’abondance" ne peut prétendre non plus rivaliser avec les Wedgwood d’origine. Par ailleurs, la série de six assiettes commandée par le National Art Collections Fund aux artistes Peter Blake, Bruce McClean, John Piper, Edouardo Palozzi, Patrick Cauldfield et Patrick Heron est loin d’incarner le triomphe de la modernité et de la technique.
Wedgwood sans modernité
Alors que les verreries de Lalique, l’argenterie et la vaisselle de Tiffany, le cristal de Daniel Swarovski, les ustensiles ménagers d’Alessi et la porcelaine de Villeroy & Boch, pour ne citer qu’eux, ont su puiser avec invention dans les archives et demander à des artistes, à des architectes et des designers de créer des produits aussi séduisants que modernes.
Car c’est bien là que le bât blesse : à la différence de son fondateur, Wedgwood ne joue pas la carte de la modernité : pour preuve, la récente pièce de l’artiste italien Mirko Bravi, qui évoque davantage les années cinquante que la décennie actuelle, même si sa beauté lui a valu un prix. Espérons que cette exposition bien conçue et son excellent catalogue serviront de catalyseur. Jill Sharrock, la nouvelle directrice de la création de Wedgwood, a la voie toute tracée.
THE GENIUS OF WEDGWOOD, (Le génie de Wedgwood), Victoria and Albert Museum, Londres, jusqu’au 17 septembre.
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Wedgwood, tant va la cruche à l’eau...
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Wedgwood, tant va la cruche à l’eau...